Le confinement a servi de révélateur de la transformation de la société, inattendu et beaucoup plus large qu’imaginé.
En premier lieu, la crise sanitaire est devenue une crise économique avec son cortège de conséquences. Destruction d’emplois (on attend en France 900 000 chômeurs de plus pour la fin de l’année et 5 millions de plus aux Etats-Unis), importantes faillites d’entreprises et notamment de PME, accroissement des dettes de tous les pays et surtout la crainte, de plus en plus présente, de l’arrivée d’une deuxième vague de la pandémie.
En parallèle, ce sont les comportements qui ont changé. Les consommateurs épargnent plutôt que dépenser, le e-commerce a accentué sa place dans leurs achats, le télétravail (40%) a mis en lumière l’impact des « relations à distance » et l’autonomie dans le travail, etc.
Cela se traduit par une avancée spectaculaire du numérique populaire, quand bien même beaucoup reste à faire. « L’illectronisme » est apparu au grand jour. De l’ordre d’un français sur cinq ne dispose pas des connaissances « électroniques » de base.
En contrepartie si j’ose dire, cet arrêt de l’économie a diminué la production de CO2, rendu le ciel bleu et permis de (re)découvrir le chant des oiseaux. Cela donne du grain à moudre aux tenants de la décroissance, préparant ainsi de futurs débats oiseux sur les chaînes d’information entre ces derniers et leur refus absolu d’en tirer les conséquences, notamment en termes de destruction d’emplois.
L’éducation réinventée
Ce panorama tracé, un élément fondamental est devenu une réalité : l’éducation. Il concerne aussi bien les petits que les grands, de la maternelle à l’université. L’enseignement à distance, qui existait jusque-là pour des raisons particulières, s’est transformé en « e-éducation » pour tous. Le lien physique avec l’école a été coupé.
Attention toutefois, il ne s’agit plus de transposer simplement en « vidéoconférences » la pratique traditionnelle où l’enseignant, avec son talent didactique, « raconte son cours », comme il le faisait précédemment, aussi bien en salle de cours que dans les amphithéâtres. Un nouveau concept est né : « l’apprentissage inversé » ! Dans les cas les plus tranchés, l’enseignant adresse son cours par Internet à l’élève ou l’étudiant, et le cours « en classe » devient une sorte de laboratoire où l’élève ou l’étudiant « apprend à apprendre ».
Cette nouvelle pratique a un point commun partagé entre les enseignants et les élèves (sans oublier l’impact des parents, pour les petits) : « l’interaction ».
Cela veut dire que ce qui est en question, c’est la pratique de la pédagogie. D’un côté, l’enseignant voit son métier se transformer ; il en est de même pour l’apprentissage « des enseignés ». En plus, ces derniers ont chacun un vécu extrêmement spécifique de cette nouvelle situation. De fait, élèves ou étudiants, chacun dans son territoire, va s’inventer de nouvelles pratiques autonomes d’apprentissage donc diversifiées (en plus ou en moins) les unes des autres, surtout en l’absence « directe » de l’enseignant. C’est aussi le risque d’un manque de modèle et, pour les jeunes, la famille se doit d’y contribuer.
Cela crée un nouvel impact et l’éducation devient « interaction ». L’enseignant se retrouve devant une classe ou un amphi avec une population totalement hétérogène. Ses pratiques traditionnelles doivent changer ; une formation nouvelle devient indispensable ; le tutorat prend toute son ampleur. Sans elle, cette transformation risque d’être un échec.
Deux exemples : une première étude montre qu’au bout de 20 minutes, l’élève décroche. Cela a conduit certaines institutions pédagogiques au niveau mondial à bannir les amphis pour leur préférer un travail en petits groupes. La deuxième étude concerne directement les étudiants : seuls 50 à 65 % d’entre eux se disent satisfaits de leur prise de notes en l’amphi. Encore faut-il tenir compte du double effet produit par ce qu’il est convenu d’appeler « révérence/auto-référence ». La révérence, je l’appellerai « l’amour du prof » qui conduit à ne retenir que les grandes lignes de la prestation de l’enseignant ! À l’opposé, l’auto-référence conduit, elle aussi, à minimiser les acquis de l’amphi. Sont retenues essentiellement les seules informations qui confortent leurs précédentes connaissances !
On le voit, il ne s’agit pas de s’en tenir à fournir des tablettes ou des ordinateurs aux uns et aux autres, mais bien de former à cette nouvelle pédagogie.
Pour conclure, la « e-éducation », devrait permettre une amélioration sensible des conditions d’enseignement et l’on peut penser aussi qu’elle va permettre aux élèves français, qui se classent 27e au fameux classement Pisa[1] de l’OCDE, de regagner les places que l’enseignement français mérite.
Daniel Boeri
[1] Ce test, piloté à intervalle régulier de 3 ans, évalue le niveau des élèves de 15 ans de plus de 30 pays. Concrètement, le PISA évalue les compétences selon trois disciplines : Lecture et écriture, les mathématiques et les sciences