Complément au rapport sur le Patrimoine
Monsieur le Président,
Je souhaite revenir quelques instants sur mon propos, cette fois-ci de manière plus libre qu’en tant que rapporteur sur deux aspects.
Un premier aspect, formel, et un second, plus politique.
- L’aspect formel, pour évoquer deux légères maladresses rédactionnelles, consécutives aux nombreux échanges intervenus avec le Gouvernement.
Elles sont, faut-il le préciser, sans conséquence sur le sens du texte qui est présenté ce soir à la délibération de l’Assemblée.
- La première concerne le 2ème alinéa de l’article 2 du projet de loi.
Celui-ci prévoit en effet les modalités de désignation des représentants des différentes entités qui composent le Conseil du Patrimoine.
A cet égard, il est prévu, s’agissant du Comité National des Traditions Monégasques, que les représentants soient proposés par le Président de ce Comité. Il s’agit d’une incohérence avec la composition du Conseil du Patrimoine et du chiffre 9ème qui fait bien référence à une proposition par le Comité lui-même, et non uniquement par son Président.
De plus, on ne comprendrait pas pourquoi la précision serait apportée s’agissant du seul Comité National des Traditions. La cohérence du texte implique donc que la référence au Président soit supprimée.
- La seconde porte sur le chiffre 3ème de l’article 3 qui définit les missions du Conseil du Patrimoine.
Celui-ci est, en effet, consulté par le Ministre d’Etat en cas de sortie d’un bien culturel mobilier du territoire monégasque.
Il s’agit, en l’espèce, d’une corrélation établie avec l’article 14 du projet de loi.
Précisément, au titre des amendements retenus par la Commission, celle-ci a décidé de simplifier, d’un point de vue rédactionnel, les prérogatives dévolues au Ministre d’Etat, en utilisant la terminologie « d’autorisation ».
Dès lors, le Conseil du Patrimoine n’est plus uniquement consulté « en cas d’opposition », mais bien pour « toute demande d’autorisation » de sortie d’un bien culturel mobilier.
Il convient, par conséquent, de modifier le chiffre 3ème et de supprimer le corps de phrase « lorsque le Ministre d’Etat envisage de s’opposer à une telle sortie ».
Par conséquent, et au vu de ce qui précède, j’invite l’ensemble des élus ici présents à accueillir favorablement les propositions formulées par le Gouvernement.
- J’en viens à l’aspect politique
Tout d’abord, je souhaite remercier les différents intervenants qui ont apporté leur concours à la rédaction et à l’amélioration de ce Projet de loi, à savoir les experts auditionnés, les permanents du Conseil National et bien sûr mes collègues de la Commission de la Culture et du Patrimoine.
Je n’oublie pas non plus Michelle Dittlot, à l’origine de ce projet lors de la précédente mandature.
Ce projet de Loi suscite de nombreux commentaires ; je souhaite rétablir ici quelques vérités.
D’abord pour souligner, pour l’information de nos compatriotes, que le présent projet de loi est conforme à 90% au projet transmis au gouvernement en avril 2015.
Cela est devenu une belle affaire pour Horizon Monaco en mal d’existence, en poussant des cris d’orfraie et en jouant aux trois dés, et tombe par hasard sur l’article 17 ; pourtant adopté en commission par 7 voix, 2 abstentions et 1 contre. Les abstentionnistes n’étaient pas d’Horizon Monaco.
Je ne cite pas de noms, pour la petite histoire, Horizon Monaco disposait alors de 3 voix.
- Cette Loi est modérée;
- – D’une part, elle établit un lien entre l’histoire et la prospective
A ce propos, ce projet de loi illustre un problème récurrent qui peut conduire à une myopie.
Né en 2010, il s’intitule « projet de loi relatif à la préservation du Patrimoine national ».
Depuis, la Commission, avec l’apport des experts et sachants, a approfondi le concept : il s’agit maintenant de préservation et de valorisation du patrimoine national.
Les procédures administratives et juridiques étant ce qu’elles sont, il n’a pas été possible de changer l’intitulé initial.
Voilà en partie la cause d’une certaine myopie -volontaire pour certains-, involontaire pour d’autres. Le libellé conduit à mettre l’accent sur le seul volet « préservation » et oublie le nouvel aspect « valorisation » qui y est lié !
De fait, relier entre eux ce qui est certain d’un côté et ce qui est incertain de l’autre n’est pas facile.
Toutefois, c’est le chemin que nous empruntons pour Monaco.
La préservation et la valorisation du Patrimoine ne sont pas de simples outils destinés à figer la Principauté
« dans un marbre trop dur pour être travaillé »,
elles tiennent compte du nécessaire développement de notre pays et de l’étroitesse de notre territoire.
- – D’autre part, deux nouvelles structures sont créées.
Elles s’appuient sur un modèle bien connu et efficace : l’IMSEE, Institut Monégasque des Statistiques.
Le Conseil du Patrimoine, en tant que conseil scientifique.
Il nous éloigne du seul culte de l’émotion et nous évite ainsi l’écueil des « classeurs compulsifs » des immeubles. Il formule des propositions de nature à orienter la politique patrimoniale, et surtout, il donne l’opportunité de laisser notre trace pour les générations futures.
Par ailleurs, est créé un Institut du Patrimoine, une nouvelle direction à part entière, et non un service à l’intérieur d’une autre direction.
Il sera la cheville opérationnelle, notamment pour tout ce qui concerne les inventaires.
La structure unique proposée en avril 2015 dépendait du seul Ministre d’Etat, sans lien aucun avec les propositions d’’opérationnalité, au risque même d’apparaître schizophrène.
Je veux être clair.
Cela ne veut pas dire pour autant que les propositions formulées par le Conseil du Patrimoine, certes, naturellement consultatif, resteront lettre morte ou que cette loi ne servirait à rien !
L’Institut du Patrimoine et les services spécialisés traduiront en dispositions règlementaires les recommandations que le gouvernement estimera utile à la protection et à la valorisation du Patrimoine.
J’insiste, cela d’autant plus que ces recommandations sont rendues publiques !
Le gouvernement est donc, par-là, comptable des éventuelles différences ou renoncements.
C’est de l’autocontrôle par tous, plus fort que le contrôle simple.
Les différences, si elles existent, entre les propositions d’un côté et les réalisations de l’autre, seront identifiées.
- Cette Loi se veut aussi être moderne, car elle intègre le besoin de « vivre bien à Monaco aujourd’hui, demain et après-demain » ; la valorisation du territoire.
Le but du Conseil du Patrimoine et de l’Institut du Patrimoine est d’animer l’évolution du Patrimoine monégasque dans un sens sociologique.
Chaque époque se doit de laisser une trace, qui se vit dans le présent, et qui doit être valorisée dans le futur.
A ce titre, c’est l’occasion pour moi de souligner que la référence au patrimoine archéologique a été supprimée pour cause de conventions internationales : la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique révisée, de la Valette le 16 janvier 1992, et transformée en Ordonnance Souveraine n°14 738 du 6 février 2001.
Il nous faudra d’ailleurs s’assurer, à l’usage, de la « bonne application de la loi – dans 3 ans par exemple ! Notre fameuse clause de revoyure !
Il s’agit de valoriser tout autant les éléments matériels et immatériels qui constituent notre identité et notre singularité :
Nos sites, nos paysages, l’urbanisme sont les plus visibles, mais notre culture, nos usages, nos traditions, notre langue, les arts du spectacle, moins polémiques, en font également partie intégrante.
Qu’on ne se méprenne pas : cet élargissement n’implique en aucun cas le rejet du passé car, comme le dit « si justement » Faulkner,
« le passé n’est jamais mort, il n’est même jamais passé ».
D’autant que, nous le savons tous,
« si le passé n’éclaire plus l’avenir, alors, les esprits marchent dans les ténèbres ».
C’est l’occasion pour moi de revenir sur certains propos parus dans la presse, pour l’information de nos compatriotes et des résidents.
Auparavant, je tiens à dire avec force, que, pour moi, « l’échange d’arguments entre membres d’une société est le fondement-même de notre liberté » ;
pour autant, il n’est pas raisonnable de travestir la réalité.
Avec le Patrimoine, nous sommes, en quelque sorte, à la croisée des chemins, forcément polémique :
- d’un côté, les tenants de l’Histoire qui veulent avancer: c’est l’Océan Pacifique,
- de l’autre, les tenants de la modernité qui veulent leur barrer la route: c’est l’Océan Atlantique.
Et chacun le sait ; la rencontre de ces 2 océans au Cap Horn, est toujours périlleuse et agitée ! Comme aujourd’hui
Je veux souligner aussi, – et c’est le Doyen qui parle -, que le chemin de la maturité est parfois plein de surprises.
Non ! Il n’a jamais été envisagé que l’Institut du Patrimoine soit co-contrôlé par le Conseil National !
Cela n’a jamais été le cas, ni par la pensée, ni par le travail de la Commission, d’autant qu’une telle idée est contraire à l’équilibre de nos institutions !
Il s’agit d’une fable, pour être gentil, et d’une contrevérité pour être direct.
Si cela avait été le cas, imaginez, le patrimoine subirait les oscillations du résultat des élections, selon les majorités et les minorités, alors qu’il s’agit de notre Histoire.
Pauvre patrimoine, si j’ose dire, si la politique politicienne s’en empare !
Pour autant, c’est au présent qu’il appartient de déterminer
comment faire fleurir l’avenir en soignant les racines anciennes du patrimoine.
J’en viens aux articles de presse.
Vous avez dit « pathétique » Monsieur Nouvion ; oui c’est pathétique !
- Ce qui est pathétique, pour un sujet d’une telle importance, c’est de changer d’avis comme de chemise, quand on passe de la majorité à la minorité.
Comme le disait le philosophe Pascal
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ; et comme nous n’avons pas les Pyrénées, on se rabat sur l’immobilier !
- Ce qui est pathétique, c’est de se servir du Patrimoine, qui est l’Histoire et l’avenir de notre pays, pour de pures raisons politiciennes
- Ce qui est pathétique, c’est de se répandre dans la presse en contrevérités pour tenter de jeter le trouble auprès de nos compatriotes et des résidents
- Ce qui est pathétique, c’est d’oublier la question du développement de notre pays, la trace que notre génération va laisser aux générations futures
- Ce qui est pathétique, c’est de crier « au loup » pour jouer sur l’émotion et faire peur à nos compatriotes en leur laissant croire à la destruction délibérée d’immeubles remarquables. Heureusement, chacun connaît la fin de la fable : A force de crier « au loup… »
- Ce qui est pathétique, c’est de délibérément oublier la nécessaire politique de logement des Monégasques dans notre terre d’étroitesse ; eux ne l’oublieront pas. Un Agenda 2040 dont je parlais il y a peu, y pourvoira.
Le projet « Très Grand Ida » en est, déjà, un fort exemple.
- Ce qui est pathétique c’est de confondre ce qui est souhaitable, assis dans un fauteuil, et ce qui est possible, quand le gouvernement doit décider face à la réalité d’un moment
- Ce qui est pathétique, c’est de se servir du patrimoine pour changer les institutions, sans le dire, sournoisement
- Ce qui est pathétique, c’est de laisser croire que certains bâtiments aujourd’hui aurait dû être classés, avant même l’expertise du Conseil et de l’Institut du Patrimoine.
Alors que des experts ont déclaré en Commission, je cite « l’inventaire a été bâclé ! Pour le faire correctement le personnel en charge doit être formé ! »…mais peut être à tort !
- Ce qui est pathétique, c’est d’oublier que le Patrimoine c’est toute notre culture, c’est tout notre savoir-faire, notre histoire et ce n’est pas uniquement l’immobilier.
C’est vrai ; celui-ci permet une démagogie plus facile parce que plus visible ! C’est l’arbre qui cache la forêt.
J’arrête.
Ce soir, je fais un rêve. Faisons un examen de conscience.
Tournons la page de ces philippiques politiciennes.
Avec cette loi, nous faisons un grand pas en faveur de la préservation et la valorisation du patrimoine, et un pas de géant pour l’attractivité de notre pays tout en tenant compte de nos contraintes foncières
Car le patrimoine c’est :
- Notre histoire
- Notre présent
- Notre avenir
Mais si service commandé et solidarité politique ont leurs exigences, tout de même…quand j’entends qu’on ne peut plus raconter l’ancien Monaco à ses enfants… Et l’avenir alors ?
Je vis,
vous vivez,
nous vivons à l’articulation de deux mondes :
– L’Histoire connue et interprétée, d’un côté ;
– Et l’avènement d’un monde différent, encore flou, de l’autre.
Le monde qui fut est certain…c’est-à-dire identifiable et palpable,
Et l’épiphanie avec un petit « e » ; c’est-à-dire la prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature du monde à venir, qui demeure, lui, incertain et spéculatif.
Notre monde est ainsi fait ; mélange de certitudes et d’incertitudes.
Voilà pourquoi, chers collègues, je vous invite à saisir cette opportunité que tant de Monégasques attendent depuis si longtemps, en votant ce texte équilibré et moderne établissant un pont solide entre l’héritage de nos ancêtres et les réalisations d’aujourd’hui pour nos descendants.
Cuscì, cun achësta lege sci’u patrimoni, segherëmu a mirà l’ecelença per u nostru Principatu.
« Cette loi perpétue la grandeur de Monaco »
Je vous remercie,
Daniel BOERI