Bien que sirotant un Moscow Mule, tout en écoutant le chef d’œuvre de Presley, « Suspicious Mind », Daniel Boeri ne se porte pas très bien.
On l’aura deviné, la pandémie est passée par là.
Outre les alertes interminables sur les obligations de la réglementation, évidemment toutes plus contradictoires et angoissantes les unes que les autres, comment disposer de repères pertinents dans un véritable barnum indescriptible ? Entre autres exemples : le masque interdit à la vente par les pharmacies, puis autorisé et enfin rendu obligatoire dans l’espace public, puis non, puis oui, puis plus du tout, puis on comprend plus rien, parce que c’est comme ça. Donc nous ne serions pas complets sans dénoncer par la suite une alternance aberrante entre injonctions, sommations, autorisations, permissions et prescriptions. Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, semble être le sort réservé au commun des mortels. Comme pour le conflit ukrainien avec la Russie, loin d’être le seul différend armé, a été suivi d’une avalanche de communiqués restés lettres mortes. Dès lors, Daniel Boeri, logiquement fêté et vénéré par ses pairs de la Haute Assemblée, (enfin ce n’est pas paroles d’Evangile), serait il atteint par ce mal répandu pour donner suite à pléthore d’informations, l’éphémérisation de l’actualité ? Peut être que oui, mais pas si sûr ! Ce serait même l’occasion d’écrire une suite littéraire à son dernier Opus, « La 53e des Anecdotes Naturelles ». Anecdotes qui ont jalonné son existence est-il bon de préciser.
Bah, relate-t-il, tout a été dit et redit sur cet ouvrage qui décrit un parcours hors normes d’un étudiant pris dans la bourrasque du psychodrame de mai 68, ayant applaudi à l’annulation du Festival de Cannes de la même année. Mais que l’on ne s’y méprenne pas ! Ce n’est pas en soutien aux fils de bourgeois qui prônaient la mixité des piscines universitaires tout en caillassant les CRS. Mais plutôt au renvoi du génial fondateur de la Cinémathèque (Henri Langlois pour les amateurs, mais c’est une autre histoire.)
Ainsi donc, le voici devenu tour à tour enseignant, économiste, chef d’entreprise, galeriste, écrivain et, désormais homme politique au service de son pays, auquel il pense chaque matin en se rasant.
Voilà que, pour paraphraser « Cyrano », Daniel Boeri a fait sienne cette antienne passée à la postérité : « Mais on n’abdique pas l’honneur d’être une cible. » Mais comment, lui une cible ? Qui oserait faire feu sur son auguste stature ? En fait, si d’aucuns veulent le comparer à un « Simon Boccanegra » contemporain en mal de célébrité, virevoltant de scènes en cènes au milieu d’apôtres complices, ce qu’il récuse ô sacrilège, il faudra craindre sa colère légendaire. On l’imagine pour punir ses plus vils détracteurs, leur adresser cette phrase vernaculaire et ancrée dans les mentalités locales : « Scutandu sulu u curage che ghe dijëva ren, gh’è stau ciü caru se ne sta carmu ! »
Qu’il nous soit permis d’accompagner l’ adage de sa traduction : « N’écoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda bien d’intervenir… »
La locution parle d’elle-même.
Quant à son ouvrage enfin, » La 53e des Anecdotes Naturelles « qui évoque son glorieux parcours, qu’il me soit permis de citer l’anecdote du polyamour, probablement la plus célèbre, où l’on découvre avec subtilité que l’on peut aimer de différentes manières, alors pourquoi pas plusieurs personnes différentes en même temps, comme un antidote à toutes formes de lassitude, voire de violences conjugales ? Est-ce réaliste à défaut d’être plausible ? « Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir s’y sont aventurés… » nous explique-t-il dans son ouvrage.
Au fond, n’a-t-il pas chez lui, trônant au beau milieu de sa bibliothèque, un cadre offert par ses anciens élèves qui dit « L’inaccessible, on le fabrique souvent pour soi-même. »
Pour la petite histoire, c’est Romain Gary qui le dit dans « La Nuit sera calme ».
La nuit sera calme, vraiment ?